Actualité

Nous revenons à la première partie du livre sur l’EMI, le lieu des Initiations. Ce fut long, soixante-dix ans depuis l’ange dans la cage d’escalier. Mais enfin j’y suis. On y est. Je rappelle que ce déballage un peu narcissique n’est pas de la pure autocélébration mais la présentation honnête et étonnée de toutes les variables à traverser avant d’accéder à l’invariant, EMIque. Cela peut vous rappeler que vous aussi avez probablement dû traverser certaines de ces initiations. Courage. Finalement çà arrive.

 

Cri et enlacement, rebirth et pneumoanalyse

Vous vous doutez bien que mon initiation ne s’est pas arrêtée miraculeusement. Elle a profondément jalonné ma carrière professionnelle. Au sortir du couvent, j’ai donné la priorité aux études de médecine plutôt qu’à la sociologie déjà entamée. Çà payerait mieux ! Of course. Je n’avais plus de piano. Je me suis marié assez vite, deux ans plus tard, et nous avons adopté trois enfants, un vietnamien, une vietnamienne et un métis. Je me focalisais sur mes études mais, fort heureusement, la révolution de mai 68 a éclaté dès ma deuxième année de médecine. Et çà a pulsé ! Mais pas d’EMI ! Au contraire, j’ai risqué d’être recalé à l’examen final, clinique, en sixième année et d’être exclu de la spécialisation en psychiatrie. Cette exclusion a été effectuée pour le poste de chef de clinique de CHU de Strasbourg alors que j’avais les meilleurs diplômes y compris le DEA de sociologie (4ème année). Fort heureusement. J’aurais définitivement succombé à la structure intello. On m’a donc une nouvelle fois subverti ! Mais pas de cauchemars posttraumatique ce coup ci. Et pour cause, à défaut de découvrir enfin l’EMI, je m’y suis grandement préparé. Je veux encore présenter trois temps forts de ma formation et de ma recherche du … Saint Graal. Casse-cou jusqu’au bout. Faut taper fort pour EMIser : trauma violent, viol, torture, coma, anesthésie générale, et, plus doucement, lâcher prise important.

 

NIP, le new identity process , de Casriel

Après un démarrage de psychanalyse lacanienne quasi somnifère, je me suis jeté dans le cri primal et, pire encore, dans le bonding ou étreinte prolongée. J’ai beaucoup décrit ce NIP qui m’a inspiré la somatoanalyse et je ne voudrais reprendre ici que l’évènement princeps qui a ouvert Casriel au contact intense après le cri en groupe. Ce déroulement évoque un cycle EMIque. C’est une EMI mais on ne le sait pas encore !

Casriel s’occupait de toxicomanes et fut amené à visiter les communautés autogérées de drogués du type Synanon. Il y découvrit les séances marathon de plusieurs heures, de vingt-quatre heures et même plus pendant lesquelles le cri débouchait sur des catharsis résolutives et des changements d’attitude importants. Aujourd’hui la méthode s’appelle ‘‘Bonding psychotherapie’’. Voici comment Casriel a lui-même décrit sa découverte de la proximité physique.

‘‘Un samedi soir, à la fin d’une séance, les participants du groupe s’enlaçaient et une femme me disait : ‘‘laisse-moi te serrer dans mes bras’’.

Je disais : ‘‘Merci. Ça va comme ça’’ parce que je ne voulais pas me rapprocher d’elle, pensant que ce ne serait pas professionnel.

Elle disait : ‘‘Laisse-moi t’enlacer’’.

Je disais : ‘‘Non. Il est déjà au-delà de minuit. Laisse nous aller à la maison.’’

Elle disait : ‘‘Laisse-moi te prendre dans mes bras’’.

Je disais : ‘‘Je n’ai vraiment pas besoin d’étreinte’’.

Elle disait : ‘‘Mais ce n’est pas pour toi, c’est pour moi’’.

Je disais : ‘‘Comment penses-tu cela, pour toi ?’’

Elle disait : ‘‘Je trouve ça beau de t’enlacer’’.

Je disais : ‘‘Tu trouves cela beau, de m’enlacer ?’’

Elle disait : ‘‘Ce que tu peux de nouveau être dans tes pensées’’.

Elle a ouvert ses bras pour m’enlacer et j’ai fait un pas en arrière et tombai sur le matelas. Et alors cette femme folle et incontrôlable sauta sur moi, comportement qui n’était à proprement parler pas adapté, surtout pas en ces temps-là. J’ai eu très peur et regardai rapidement vers la porte parce que je voyais déjà l’Association Psychiatrique Américaine comme elle entrait et me retirait ma licence ; puis je vis ma mère passer la tête par la porte et dire : ‘‘Ah bon, c’est ainsi que tu gagnes ton argent’’. Puis je me demandai ce que diraient les patients du groupe s’ils voyaient leur psychiatre sur le matelas avec cette femme incontrôlable.

Je réfléchis : ‘‘Comment puis-je la faire descendre de dessus moi ? Elle ne ferait rien de déplacé, mais comment puis-je la faire descendre sans la blesser dans ses sentiments. J’essayais de la bousculer loin de moi lorsque je remarquai qu’une émotion montait dans ma poitrine. J’en savais assez de ce processus pour savoir que cette émotion devait être de la souffrance. Je ne le sentais pas encore vraiment comme de la souffrance, mais je savais que c’étaient les prémices de la douleur et je devins curieux. Je pensais : ‘‘damned, d’où cela peut-il venir ?’’

J’étais vraiment curieux et à cause de cela je commençai à exécuter l’exercice du cri. Je fis ‘‘Ahh, Ahhh’’, de plus en plus fort. Alors que je continuais, j’entendis mon côté intellectuel, critique – et il était extrêmement critique – dire à mon côté émotionnel : ‘‘à présent arrête donc tout ça’’. Que veux-tu prouver – que tu crois à ton propre processus ? Arrête ! Que vont penser tes patients, quand ils voient leur propre psychiatre faire ces bruits ici à minuit ?’’

Tous les observateurs critiques en moi disaient que je devais enfin arrêter, arrêter, arrêter ! Mais il y avait une autre partie en moi qui ne voulait tout simplement pas arrêter et les cris devinrent plus forts, plus forts, plus forts, et tout d’un coup j’arrêtai de penser et commençai tout simplement à ne faire que sentir. Pour la seule fois de ma vie je vécus ce que les psychiatres appellent abréaction. Je passai par un sentiment d’absence de temps et d’absence d’espace. Puis je sentais comme si j’étais jeté en l’air et de nouveau rattrapé et de nouveau jeté en l’air et de nouveau rattrapé. J’entendais un homme rire et siffler et taper dans les mains et crier. Je m’entendais rire et glousser et j’entendais comme je criais : ‘‘Oncle Wuui ! Oncle Wuui !’’ C’est ainsi que j’appelais, vers deux, trois ans, mon oncle Louis, un homme que je voyais rarement mais aimais toujours. Et quand je le vis, ça faisait mal en moi. Je ne le comprenais pas. Je voulais le voir mais je voulais aussi ne pas le voir, parce que ça éveillait cette émotion en moi. Et toujours quand je le voyais, j’avais alors ce sentiment de souci, de souffrance et de joie en moi.

Je sentais de nouveau comment ce petit enfant fut jeté en l’air et de nouveau rattrapé et nous riions et gloussions et avions beaucoup de plaisir ensemble. Ensuite mon attention fut à nouveau orientée vers la femme qui cherchait toujours encore à m’enlacer. Et je l’enlaçai et lui rendis son amour. A ce moment, mon ventre explosa de douleur. Jusqu’à ce jour, je ne sais pas combien de temps j’ai crié. Quand j’arrêtai je savais que quelque chose de vraiment profond avait eu lieu. A l’époque je ne savais pas ce que c’était. Il a fallu quelques semaines pour l’analyser. Je pris conscience que j’aimais cette femme et je ne culpabilisais pas pour cela ; je ne me sentais pas tenu à quoi que ce soit, je ne lui devais rien, je n’avais pas à avoir honte et cela ne devait pas m’être pénible. La joie se fondait sur la réciprocité.

Cet événement me transforma dans mon essence même… J’étais joyeusement étonné… Il est plus important de passer du temps à ressentir joie et amour que de ne seulement en parler.’’ (Stauss p. 34-36, traduction de l’allemand par R. Meyer) (Meyer 2013 p. 219-220)

Tout commentaire intello est superflu. Çà parle (crie) de soi-même. J’ai crié, enlacé, fait du bonding avec Dan (Casriel) et propose toujours encore ce mode de travail à mes élèves. Puis vint la mode du rebirth à laquelle je devais évidemment aussi succomber. Je l’ai fait évoluer vers la pneumanalyse qui est devenue le véritable lieu de révélation de l’EMI, ici transformée en EMInitiante. Faisons-en le tour comme autre préliminaire de la merveilleuse découverte qui se fait ici. Alors que je n’aime pas trop le terme rebirth (re-naissance) dans sa forme de thérapie émotionnelle, je dois reconnaitre (re-co-naitre) que le symbole colle bien avec l’étape qu’il m’a permis de franchir.

 

Le Rebirth et la pneumanalyse

Le rebirth est une technique psycho-somatothérapique qui se sert de l’hyperventilation prolongée en position immobile. On connaît les vertus de l’hyperventilation et on les utilise couramment dans l’action, dans le sport et dans toutes les occupations qui font intervenir l’activité musculaire et l’hyperoxygénation. Mais il existe une différence fondamentale entre le sport et le rebirth. Quand il y a travail musculaire comme dans le sport, les changements humoraux (l’hyperoxygénation, l’alcalose…) sont neutralisés par ce travail musculaire, sauf dans le cerveau, ce qui entraîne des changements de l’état psychique que l’on recherche d’ailleurs sans trop le savoir: l’esprit devient clair, décidé, dynamique et créatif. En compétition, cette acuité de la conscience favorise la concentration et l’efficacité ; en sport d’endurance, le psychisme se dissocie peu à peu du corps qui fonctionne quasi automatiquement. On dit que les marcheurs sont schizo et que les nageurs de fond connaissent de véritables moments euphoriques et hallucinatoires. Le philosophe KANT marchait pour soutenir sa pensée selon un parcours minutieusement ritualisé. A l’inverse, le sport d’adresse et d’équipe favorise l’harmonisation psycho-, socio- et somato- logique contrairement aux sports d’endurance solitaires qui entretiennent et développent les dissociations entre ces trois fonctions. Il y a donc des sports névrotiques et des sports psychotiques !

Le rebirth se fait dans l’immobilité musculaire, ce qui en constitue l’originalité. Il se produit des phénomènes aussi importants dans les muscles et les viscères que dans le psychisme. La transposition de cette hyperventilation dans un cadre analytique a nécessité l’aménagement de son organisation et justifié la nouvelle dénomination de ‘‘pneumanalyse’’, pneum- étant le souffle. On hyperventile moins qu’en rebirth classique en respirant par le nez et non par la bouche. On n’extériorise pas les émotions par le cri ou le mouvement pour ne pas déranger les autres participants. L’analyste pose la main sur le haut du thorax, n’intervient quasiment pas verbalement. Cet aménagement des consignes permet de passer rapidement par le tunnel noir (subversion de la structure mentale) et d’accéder à la nature de l’esprit puis à l’intime du lien.

Voici à titre d’illustration cinq séances que j’ai effectuées avec Johannes, un rebirtheur certifié, puis avec Denise, une collègue. (Il s’agit de rebirth relativement agressif et pas de pneumanalyse) en tout cas avec Johannes.

 

Première séance

Je suis à la quatrième séance d’une série intensive de sept. J’ai un peu mal à la tête, de cette céphalée que je connaissais bien il y a dix, quinze ans. Ça a duré toute la nuit d’ailleurs, ce qui m’a valu quelques rêves bien caractéristiques qui répondent probablement à “l’informant” céphalée, comme celui-ci: je devais escalader une paroi raide et quasi verticale, n’offrant que d’infimes aspérités où m’accrocher. J’y montai néanmoins mais me trouvai sur une toute petite plate-forme à donner le vertige.

Il s’agit de la diffusion d’une charge énergétique qui se libère, circule et envahit le cerveau tout en y restant partiellement bloquée au lieu de continuer dans le chignon (vers le haut), dans le tunnel (vers l’avant) ou de redescendre à l’avant du corps comme en Présence Juste. Si ce mouvement continuait, ce serait ouverture de chakra et rêve de trésor comme nous l’avons vu ci-devant.

En début de séance, Johannes me demande quelques respirations profondes : c’est un test qui revient assez régulièrement pour voir l’état de détente. Les premiers mouvements sont bien souples, puis ils s’alourdissent, le nez se tuméfie et la commande devient de plus en plus consciente et saccadée. Il me fait passer à la respiration du rebirth, au niveau des clavicules et des premières côtes, avec une inspiration active et une expiration passive. Ce n’est pas la respiration habituelle ; je m’applique donc, m’efforce, insiste avec beaucoup de désagrément. Les muqueuses nasales se tuméfient, les conduits aériens se spasment et je sens une accentuation de mes céphalées à la base du crâne et dans le sinus frontal. Mais j’y vais, me disant que je l’ai choisi librement même si c’est pour en crever. Les céphalées s’accentuent.

Johannes me dit alors de mieux relâcher l’expiration, parce que je la contrôle dans ma volonté de bien faire. Ce relâchement donne accès à des sensations de détente et à un léger fourmillement des bras, des jambes, du ventre et c’est plutôt agréable. Je me consacre à ces plaisirs innocents mais insensiblement mes rythmes et volumes respiratoires baissent et le niveau où j’inspire glisse vers la base du thorax et le ventre, ce qui n’échappe pas à l’œil vigilant de Johannes. “Respire plus haut et insiste sur l’inspiration”. Je m’y remets, imaginant que les sommets des deux poumons se gonflent et s’arrondissent comme le dôme des piliers de grès que je suis en train de faire installer à l’entrée de ma cour. “Prends plus d’air encore”. De nouveau mes conduits et le nez se tuméfient et résistent au passage de l’air; je fixe mon attention au niveau du pharynx et, plus en arrière, au niveau du bulbe, ce qui ne fait qu’empirer la situation. Je pars insensiblement dans la réflexion et le penser. Je me mets à faire le projet d’écrire le texte que vous avez sous les yeux. En même temps, je me rends compte que je suis parti dans la tête, que ma respiration a baissé mais que j’ai aussi soulagé mes douleurs par là. Je descends dans mon ventre, dans mes bras et mes jambes et je réveille aussitôt des fourmillements chaleureux qui relayent le penser. Mon bas ventre se met au plaisir. C’est bon, mais… ma respiration a glissé vers le bas, le rythme a baissé, les conduits se sont ouverts, l’air passe comme une caresse très douce, je ne sens plus ma tête. “Fais une respiration ample”. Je l’entends de très loin et exécute avec retardement. Le mouvement est souple et parfait. “Schön, sehr schön”, commente Johannes. Puis il me renvoie à la respiration haute. Avec ses doigts, il m’indique l’emplacement sous les deux clavicules. Il pose la main sur le haut du sternum, doucement. C’est chaud, c’est doux et la respiration suit avec facilité, elle est haute et relativement aisée; je ne sens que cette main et oublie tout le reste. Dans ma tête, je pars dans les bienfaits du contact physique, de façon imagée, associativement.

Quand Johannes enlève sa main, les difficultés se réinstallent. “Respire plus haut”. Mais il veut me faire crever, il veut faire éclater ma tête, il n’y a aucun plaisir à ce mode de respiration là! Je commence à lui en vouloir et je me rappelle les nombreuses fois où je n’ai pas osé agresser mon thérapeute; puis me reviennent les derniers stages où je l’ai fait. Mais oui, c’est à lui que j’en veux, pas à ma tête. C’est lui le salaud. Il m’envoie des ordres paradoxaux, ceux-là même qui rendent fou, des ordres en “double bind” !

Johannes a dû lire mon émotion et me dit : “Pour qui est donc cette colère? Adresse-la à ceux que ça concerne”. Aussitôt je me retrouve dans une véritable galerie de portraits: mon capitaine de l’armée, un prof, quelques formateurs, quelques familiers aussi. Je me rends compte de l’attitude contournée que je donnais à mon agression, en ce temps-là. Je ne pouvais pas faire face directement. D’ailleurs, maintenant encore, je me demande comment j’aurais pu. Je me rappelle une soirée carnavalesque : tout enfant, j’envoyais mes boulettes quand les gens ne regardaient pas et, quand ils se manifestaient, je faisais l’innocent ! Une profonde émotion m’envahit. Ces visages me parlent. Mon corps se réchauffe et fourmille de vitalité et ma respiration tombe.

 

Commentaires de décembre 2018

Nous sommes encore dans l’essence de l’énergie avec émotions vives et souvenirs réels, étape EMIque deux. J’aurais pu glisser dans le tunnel noir et basculer en auto mais Johanes m’a chaque fois remis en mode volo (volontaire). Ici, on voit très bien la différence entre le rebirth qui vient susciter de l’émotion (colère) à travailler thérapeutiquement et la pneumo qui emmènerait doucement dans le déroulement EMIque complet et initie l’OntoSynthèse.

 

Deuxième séance

La séance suivante a lieu l’après-midi. Je travaille dans une baignoire dans de l’eau à 37 degrés jusqu’au nez. Je me sens détendu, et j’ai surtout envie d’aller loin. J’inspire avec application malgré le difficile passage de l’air dans les conduits supérieurs, j’expire avec plus de relâchement, probablement à cause de l’eau. Je ne sens aucun signe de céphalée. Après une phase de quinze à vingt minutes de mise en route où Johannes me stimule, j’arrive à un état stable qui va durer près d’une demi-heure. J’y ressens des phénomènes divers:

  • la respiration, bien sûr, juste perçue et corrigée selon les besoins ;
  • mon corps (bras, jambes, ventre), légèrement et agréablement tétanisé, au stade des fourmillements ;
  • des associations d’idées concernant autant la compréhension de ce qui se passe tout juste, des suggestions pour l’écriture, des projets pour la structuration du groupe de somatanalyse, la restauration de la vieille grange en ruine…
  • le besoin pressant de prendre le temps de vivre et là me revient une chanson de George Moustaki que j’écoute ces derniers temps: “Nous prendrons le temps de vivre…”
  • des émotions, de colère surtout, quand mes idées d’action butent sur l’inertie de certaines personnes ;
  • des images de tous ordres plus ou moins en rapport avec tout cela.

L’ensemble de ces sensations, perceptions et idéations est très positif; tout cela semble évident et immédiatement réalisable. En rebirth, certaines idées et certains projets deviennent tellement évidents et faciles que la réalisation ne fait aucun doute. Au réveil, il faut partiellement déchanter (accès à l’évidence de l’étape 3).

Sorti de l’eau, je m’étends et me relaxe. Je vois devant mes yeux une tapisserie de velours rouge qui me rappelle une ambiance extrêmement chaleureuse et toutes mes anciennes amours défilent, provoquant des larmes de tendresse… Puis tout disparaît peu à peu: la vision, les images, les émotions, les sensations corporelles. Il reste juste une masse de chair reposant sur un matelas. C’est la paix, l’absence de besoin, de désir et d’idée.

 

Troisième séance

Le lendemain matin, je me sens de nouveau tendu. Quand j’essaye d’inspirer, j’oublie de relâcher l’expiration et quand je m’applique à cette dernière c’est la première qui m’échappe. Et Johannes n’en loupe pas une: « Inspire plus fort, plus haut, avec les poumons et pas avec les épaules, relâche l’expiration ». Je deviens fou, repense aux ordres contradictoires et au “double bind” et me mets dans une colère noire. En même temps, je ressens l’impuissance la plus totale.

Alors je fuis dans les pensées et quand elles s’avèrent intéressantes, je prends peur, je ne veux pas les oublier et me crispe sur elles, quelle misère ! Pour en sortir, je décide de prendre mon rythme à moi : je respire plus calmement, plus bas ; tous les conduits se détendent alors, mon corps est chaud et vibrant… et tant pis pour l’autre, je l’em… ! Je le lui dis. Les idées et les sensations défilent. Je ne retiens rien, pourquoi ne pas les laisser filer puisqu’il en viendra de plus intéressantes encore ? Ainsi je peux repartir dans une respiration à nouveau plus intense. J’approche du tunnel noir.

 

Quatrième séance

L’après-midi, ça repart. C’est une lutte gigantesque pendant près de trois quarts d’heure avec ma respiration, mon corps et avec Johannes. Il me fait sortir encore plus de mes gonds. Mais ce n’est pas dans cet état là que je peux faire face et pourtant il le faut, sinon la séance est fichue. Je commence donc par ralentir le rythme et à me mettre en accord avec moi-même. Puis je me mets à parler, à agresser Johannes, à lui sortir tous mes griefs. Je l’attaque sur sa façon de travailler et surtout sur son mysticisme. Et tout à coup, j’éclate d’un grand rire, je pense à la mésaventure de Caycedo et me vois exactement dans sa peau. Caycedo est le créateur de la sophrologie. Dans son autobiographie, il raconte comment il a rencontré le dalaï- lama, a sympathisé avec lui et lui a extorqué un laisser-passer pour aller voir ces “yogi de la lévitation” qu’aucun occidental n’a encore vus, au fin fond d’une vallée himalayenne. Il se lance dans un voyage des plus difficiles, y arrive, se fait accepter avec son sauf conduit et attend. Après plusieurs jours, il s’enquiert néanmoins: quand verrai-je la lévitation? Mais, Docteur, regardez votre papier, vous avez l’autorisation de voir les yogi de la lévitation, ils sont là autour de vous, vous les voyez !” C’est un véritable koan zen, un paradoxe psychothérapique.

Et moi je me trouve dans la même position vis-à-vis de Johannes; j’attends la lévitation et ne vois qu’un yogi, mais oui, il n’y a qu’un yogi! Pourquoi me mets-je alors dans tous ces états ? Johannes me disait souvent : “pourquoi luttes-tu ainsi contre toi-même ?” Cette mise au point transférentielle change tout et j’arrive peu à peu à la respiration du rebirthing, ample, profonde, haute, bien liée, appuyée en inspiration et relâchée en expiration. Le mouvement s’automatise presque et ne s’altère pas quand je suis ailleurs ou lorsque ma conscience diffuse. Le corps entier s’intègre et me stimule en bloc. Les conduits aériens sont relâchés, il me semble sentir ma trachée et sa paroi molle faseyer comme une voile. Je me sens fort, plein d’énergie, tout un. J’entre dans la nature de l’esprit et ressens l’intime du lien.

Il s’agit d’un état d’être ressenti dans le corps surtout et le cerveau, avec un minimum d’images et d’animation visuelle. C’est ce que je désigne comme état mystique opposé à la production spirituelle.

 

Cinquième séance avec Denise

La séance suivante se fait avec une collègue, Denise. J’avais négocié la possibilité de dicter au magnétophone lors d’interruptions spontanées éventuelles. Vous, le lecteur, vous faites donc partie du trip !

J’arrive de nouveau à la limite, je lutte contre mon corps, contre le lecteur, contre Denise. Je sens très bien ma tête qui ne veut pas, qui me rend nauséeux, qui me fait mal; je sens mes bras, mes jambes qui se crispent. La respiration devient difficile là-haut et veut descendre dans mon ventre. Je lutte pour retrouver du plaisir ; j’aimerais me sentir bien, et puis je lutte contre ma tête, contre mes bras, contre ma respiration, contre mon estomac, contre le lecteur. Je lutte aussi contre la naissance. Le plaisir, c’est de rester dans le ventre et de ne pas sortir, de ne pas affronter ce passage étroit, noir, c’est aussi de ne pas raisonner, de ne pas essayer de te convaincre toi, le lecteur. Ne pas lutter, ce serait ne pas te persuader, c’est pouvoir te faire sentir que ça peut être facile, très doux, très agréable. La lutte, c’est dissocier aux trois niveaux de la compréhension, de l’émotion et de l’action. C’est essayer de te persuader à ton niveau à toi. J’aimerais que tu puisses sentir ce que je sens, que tu puisses comprendre ce que je comprends ou que tu puisses faire ce que je suis en train de faire. En même temps, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de solution, qu’il faut chercher tour à tour à ces trois niveaux, qu’il faut savoir passer de l’un à l’autre, sentir ce qu’est le plaisir, ce qu’est la lutte, ce qu’est le blocage et d’avoir envie d’aller au-delà.

Je me rappelle que, lors d’un accrochage, un ami a eu la gentillesse de me répéter ce que mes collègues attendent de moi. “Meyer, un de ces jours, va passer au-delà du miroir, il suffit d’attendre…” C’est exactement ce que je travaille en ce moment, c’est de passer au-delà des respirations, au-delà du tunnel, au-delà des fourmillements et des crampes, au-delà d’une pensée claire, persuasive, au-delà d’une certaine violence qui s’exerce à travers les mots, à travers l’écriture. Passer au-delà du miroir, au-delà de la naissance, au-delà des fourmillements, au-delà du raisonnable…

J’essaye de respirer dans mes fourmillements ; je les sens très doux qui unifient mon corps, qui me permettent d’oublier les pensées compulsives, d’être dans mon corps. Même en dictant, ça fourmille très fort, et je sens ma vessie très fort. Il suffit d’un moment de détente et tout est bon, très bon. Je ne pense plus au lecteur, je ne pense plus à Denise, je sens ma vessie, mes fourmillements et je suis bien. C’est peut-être ça être dans l’utérus, c’est peut-être ça avoir entière confiance en l’autre et ne pas se demander ce qu’il attend de moi et ne pas avoir peur qu’il me dise : “respire, respire plus haut” comme Johannes. Je me sens bien depuis cinq minutes, j’ai l’impression d’arriver peu à peu près de ce miroir, j’ai l’impression que je pourrai passer au-delà et que ce n’est pas si dangereux…

Je me sens en sécurité, je sens une grande sécurité matérielle. J’ai passé une dizaine d’années à construire cette sécurité, professionnelle, intellectuelle, financière. Cet après-midi, j’ai consultation et même si je ne suis pas capable d’y aller, ma secrétaire dira à tout le monde de revenir demain. Il y a quelques années encore, ça me faisait horriblement peur mais, actuellement, je n’en ai pas peur, ils peuvent revenir demain. Je me rappelle un flash pendant un cri primal, je voyais tout d’un coup toute ma clientèle prendre la poudre d’escampette et ça m’a fait terriblement peur, ça m’a ramené sur terre à la seconde même!

J’ai l’impression de pouvoir accéder tout doucement vers cette limite, je respire bien sans être coincé dans ma respiration, je me sens bien dans mon corps, ma vessie est pleine, elle est chaude. Je sens que mon corps peut arriver doucement, tout doucement vers cette limite. Je n’en ai pas peur, je n’ai pas peur d’une effraction, d’un éclatement, je n’ai pas peur de passer le miroir : peut-être qu’il n’y a pas d’au-delà du miroir. Je pense tout à coup à Marie Barnes et j’ai envie de relire son livre, de le sentir un peu mieux, de voir ce qu’elle a vécu dans sa folie.

Là je viens de partir, je me rendais compte que j’arrêtais de respirer, je m’en rendais compte après un bout de temps, je ne peux rien décrire sinon une grande vague chaude qui parcourt le corps, sans idée, sans image, sans fourmillement, sans aucun symptôme. Durant ces vingt minutes, j’ai bien senti passer une dizaine de ces mouvements, et là, en sortant de toute la phase, je vois une mer, une eau plane, une mer d’huile, c’est la seule impression qui persiste. De tout le reste je ne peux rien dire. Ma respiration était très faible et quand je me rendais compte que je ne respirais plus, je faisais un tout petit effort. J’augmentais le volume, j’augmentais un peu le rythme mais je n’arrivais pas bien loin. Cette grande chose immense me submergeait de nouveau et j’arrêtais tout doucement de respirer sans m’en rendre compte. Je repense tout d’un coup que j’avais demandé à Denise de mettre sa main sur ma poitrine et ce contact m’a permis de décoller.

 

Extase et peur

Quelle expérience étrange ! Ce pourrait être aussi la non-vie, du vide. Je n’étais pas là, je n’avais aucune volonté, aucun contrôle. Il n’y avait ni corps ni esprit… Tout d’un coup, je prends peur, peur après coup. Une certaine angoisse m’envahit. Si c’était ça que de passer au-delà du miroir ? Oui, ça doit être ça. Mais on en revient ! Non sans peur la première fois ! Le passage se fait dans les deux sens ! Il y a réversibilité. Le rebirth est un révélateur et un amplificateur. Tout émerge, tout se révèle, s’affirme et décuple d’intensité, ce qui en fait sa puissance mais aussi sa difficulté.

Voilà les expériences de mes premiers rebirth, à la hussarde avec Johannes, en douceur avec Denise. Nous apercevons la différence entre le rebirth classique de Léonard Orr avec insistance sur la respiration et théorisation d’une re-naissance (re-birth). La pneumanalyse que je développe se différencie par la douceur du protocole et une plus grande intériorisation. Les effets sont évidents. La grande majorité des participants entre voluptueusement dans l’essence de l’énergie, traverse le tunnel noir et glisse imperceptiblement dans les images archétypales de l’intime du lien. Le rebirth originaire reste une thérapie émotionnelle et cathartique. Quant à la pneumanalyse, elle ouvre à l’énergétique, au spirituel et à la mystique.

Ces séances montrent toute la difficulté de l’intello bien structuré à lâcher prise. Cela nous familiarise avec la longue quête du Graal et de la pierre philosophale. On s’y lance et l’on persévère quand même ! Même dans les crispations et les céphalées, on se sent authentique et l’on développe la suite. Mais, de connaitre un peu cette suite, çà aide quand même grandement. Alors on continue ? Avec le tanking.