Psycho- et Socio- Somatologie
du rêve : le lissage de la ligne de vie
Les trois séries de rêves personnels ont deux grands mérites, celui de se dérouler sur une longue période, des dizaines d’années, et celui de montrer une évolution notoire. Ils permettent d’en tirer un enseignement général quant à la fonction du rêve, quant à une de ses fonctions du moins. Nous l’appellerons « le lissage de la ligne de vie ». En effet ces dizaines d’années constituent d’abord un grand bout de vie. Les rêves qui l’émaillent tout du long nous montrent ensuite ce qu’est « la ligne de vie », à savoir l’inscription des grands événements qui marquent cette vie, en choc et en stress, en événements heureux (éveil de Kundalini) et malheureux (renvoi du couvent). Enfin la transformation de ces rêves illustre l’effacement progressif de ces accrocs et le lissage (rendre lisse) de la ligne : le renvoi s’annule puisque je suis finalement thérapeute et religieux ; la disparition de la Kundalini s’arrête puisque je peux conserver le diamant !
L’image et les termes de cette nouvelle théorie du rêve, « lissage de la ligne de vie », nous renvoient aux principes de base de la somatologie et au modèle structuro-fonctionnel. Il nous faut voir le deuxième schéma de base ou « schéma de situation ».
Schéma 8 : le schéma de situation
Le schéma ci-dessus découpe la situation présente entre deux lignes parallèles et comprend l’ensemble des messages atteignant l’individu (à gauche du schéma) puis le vécu du sujet (au milieu) et enfin la réponse donnée par une communication unique (à droite du schéma). Le vécu, lui, se subdivise en deux parties. L’une est passive, évènementielle (intuition, visualisation, imagination, émotion, sensation, etc…), l’autre est active et structurante (réflexion, communication, tension, etc.). L’une est ponctuelle et singulière, l’autre stable et générale, la ligne qui sépare les deux est la « ligne de vie ». Elle n’est pas rectiligne comme sur le schéma de base mais chaotique, traduisant les réactions en choc et en stress qui répondent aux messages et à l’action structurante (Choc veut dire ici « état de choc » personnel et non pas événement extérieur choquant).
Schéma 9 : la ligne de vie brisée par le choc et le stress
Le schéma de situation s’applique aussi au développement ontogénétique, au déroulement de toute la vie. Sur le schéma ci-dessus, le développement ontogénétique est chaotique et la ligne est brisée par les événements. Rappelons-nous les six étapes relationnelles du développement de l’être.
Schéma 10 : la ligne de vie ontogénétique
Schéma 11 : les accrocs de la ligne de vie ontogénétique
A présent nous pouvons concevoir et même « voir » tout simplement ce qu’est le lissage de la ligne de vie : cette ligne est rabotée, redressée, lissée, rendue à nouveau droite et harmonieuse. Et cela se fait dans et par le rêve. En effet, la nuit nous fait refaire le chemin de la vie, celui du jour précédent mais aussi celui de toute l’ontogénèse :
- en état d’éveil, nous passons de la gauche à la droite, de la fonctionnalité maximale à la structuration extrême avec ses brisures éventuelles ;
- pendant le sommeil, nous faisons le trajet inverse, de cette rigidification vespérale à la souplesse originelle en repassant par les accrocs du jour précédant mais aussi par ceux qui remontent jusqu’aux débuts de la vie, à savoir la conception.
Schéma 12 : brisure et lissage de la ligne de vie
La première série de rêves, celle de la communauté, nous montre que le stress et le choc du renvoi s’effacent peu à peu et se lissent jusqu’à devenir deux états normaux ponctuant une ligne droite et harmonieuse. La seconde série, celle des rêves du trésor, lisse tout autant l’aspérité de l’éveil accidentel de Kundalini pour en faire une incurvation douce et stable. Enfin la troisième série, celle du vol, se libère de ses occurrences négatives, à savoir des ascensions instables en ascenseur, échafaudages et pitons rocheux. En effet, ce type de rêves négatifs a disparu de mon vécu depuis de nombreuses années.
Mais le rêve ne fait-il que visualiser cet effet du temps ou est-il lui-même co-auteur de ce lissage ? Notre expérience nous fait opter pour la seconde alternative.
III. L’analyse holanthropique des rêves
A la suite de Freud, Jung, Perls et Hobson notamment, nous accordons toute son importance au rêve, dans ses trois dimensions :
- de l’analyse en individuel, comme matériel personnel contournant astucieusement le contrôle volontaire ;
- de la formation en groupe, comme matériel incluant les composantes de la dynamique de groupe, à travers les rêves faits lors des stages ;
- du développement personnel, en solo, comme mesure de l’état des structures et purs processus, en particulier de l’accès à ces derniers.
Les références
Nous nous inspirons évidemment des auteurs cités, y puisant le meilleur de chacun, les corrigeant l’un à l’aide des autres, y compris à travers notre apport holanthropique et des découvertes des neurosciences.
Freud reste incontournable malgré les excès dus à sa pulsion d’exhaustivité. Son mode d’interprétation est compliqué mais il nous donne les meilleures indications quant au conflit ça-surmoi, et quant à l’éveil de ce “ ça “ si on le comprend comme le pur processus énergétique focalisé sur le sexuel et la libido. C’est lors de sa recherche sur le rêve (1896-1900) que Freud a trouvé dans la notion d’inconscient empruntée à Théodor Lipps (de Lipsheim !) la clé du rêve, de la psychanalyse, de la névrose et… du bonheur.
Voici ses principales propositions :
- le rêve a pour fonction de préserver le sommeil,
- il est toujours la réalisation d’un désir,
- désir sexuel et libidinal le plus souvent ;
- les images du rêve se réfèrent à des “ restes diurnes “ et aux événements de vie ;
- le rêve se constitue de deux discours parallèles, un discours manifeste dans les images du rêve et un discours latent, caché, qu’il faut décrypter par… la psychanalyse ;
- c’est parce que ces désirs inconscients inavouables ne peuvent devenir conscients qu’ils sont censurés par le préconscient et que le discours latent est déguisé et produit la bizarrerie du rêve ;
- les deux grands processus de déguisement sont le déplacement et la condensation, concepts repris par Lacan comme métaphore et métonymie, et la symbolisation.
Jung nous propose une lecture plus simple et directe des “ grands rêves “ qui surgissent lorsque la dimension transpersonnelle a été atteinte. Les visions symboliques et archétypales, les scénarios épiques, puisent directement dans l’inconscient “ collectif “, culturel et humaniste. Mais les processus sont également valorisés comme une “ conjunctio oppositorum “ qui n’est autre qu’une expérience plénière. Pour Jung, le rêve apporte la compensation inconsciente à la vie consciente, la part spirituelle et archétypale à la part rationnelle et opératoire. Issus de la culture universelle, les archétypes et symboles se prêtent à une lecture quasi directe. Il n’y a pas vraiment de discours latent.
Fritz Perls nous propose de jouer le rêve sur une scène où le patient entre tour à tour dans tous les rôles évoqués par les protagonistes, les objets et les lieux du rêve, jusqu’à ce que la Gestalt se complète en une… expérience plénière.
Allan Hobson, enfin, se réfère aux découvertes neuroscientifiques récentes et nous propose, lui aussi, une lecture relativement simple et directe du scénario… Il rejoint ainsi Jung et Perls. Il insiste sur la connexion fondamentale que conserve la conscience avec le corps sensitif, alors qu’elle déconnecte de nombreux centres mentaux. Revoyons rapidement cette inscription cérébrale déjà évoquée mais complexe. Pendant le sommeil paradoxal, pendant ces vingt minutes qui privilégient le rêve (avec mouvements oculaires) dans chaque cycle de quatre vingt dix minutes, se déconnectent :
- les cinq sens, en particulier la vue,
- le cortex penseur (donc pas de pensée construite et intentionnelle),
- la motricité.
Il reste :
- un centre activateur : le tronc cérébral
- qui envoie ses stimuli dans le cortex occipital qui en fait des images,
- centres occipitaux mal connectés entre eux, envoyant souvent des images parallèles : une forme (éléphant) et une couleur (rose) pour exemple donnant un éléphant rose ; d’où la bizarrerie du rêve ;
- ce circuit cérébral reste branché sur les perceptions sensitives (viscérales), le système limbique (émotionnel et sexuel) et la mémoire entre autres.
Pour Hobson, l’activation du rêve est interne ; et la synthèse se fait à partir de centres cérébraux différents de ceux de l’état d’éveil. D’où la particularité du rêve qui est bien plus somato- qu’on ne croit !
Le protocole de l’analyse
La tentation majeure de l’analyse du rêve réside dans le passage direct à l’interprétation des symboles. L’erreur la plus fréquente consiste à projeter ses propres références sur ce matériel aussi bizarre que subjectif. Aussi l’approche holanthropique préconise-t-elle un protocole rigoureux avec insistance particulière sur les processus somatologiques.
Ce protocole a trois temps :
- – la collecte des informations,
- – les différents niveaux d’analyse théorique,
- – l’interprétation du rêve.
1) La collecte des informations
- description spontanée du rêve par son auteur, sans interruption de la part de l’analyste ;
- demande de certaines précisions quant à des éléments du rêve par l’analyste ;
- recherche des associations libres parmi “ les restes diurnes “, les événements de vie, les vécus corporels et relationnels ;
- renseignement sur les conceptions personnelles à propos des images, symboles et archétypes du rêve ;
- interrogation quant à une éventuelle auto-interprétation déjà tentée par l’analysant.
Cette première étape est classique, encore faut-il la respecter de façon minutieuse et modeste : l’essentiel est déjà là, du côté du rêveur.
2) Les différents niveaux d’analyse
L’analyste a lui aussi déjà succombé à des compréhensions spontanées sinon à des interprétations systématisées et le danger le guette de les partager sans retenue. Deux étapes préalables l’attendent encore :
- l’indication de la référence à une théorie spécifique, freudienne, jungienne etc. ;
- l’analyse de la dimension somatologique.
Vue l’évolution récente de la conception du rêve, due aux neurosciences, il importe de signaler la référence que l’on fait à une théorie donnée : si l’on voit pénis, vulve et sexe dans les protubérances, grottes et pénétrations de toutes sortes, il faut évoquer une proposition freudienne ; si l’on propose d’entrer dans la peau de chacun des trois personnages du rêve, y compris de se faire carrosserie de la BMW toute bosselée et du levier de vitesse que l’on arrache à son socle, on annonce Fritz Perls. Le patient se sent ainsi plus libre et respecté ; l’analyste ne grille pas toutes ses cartouches et préserve la possibilité d’idées autres, et même apparemment contradictoires. La compréhension du rêve peut se faire à différents niveaux simultanément et, surtout, il reste encore la possibilité de la dimension somatologique. En effet durant le rêve, les processus mentaux sont perturbés jusqu’à l’incompréhension définitive – il faut savoir l’accepter et ne pas vouloir signifier envers et contre tout. Par contre, les références corporelles restent simples et massives ; elles gagnent même en évidence puisque la superstructure mentale est en retrait. Nous sommes dans la situation de l’ethnologue – mutatis mutandis – qui approche les structures organisationnelles des petites populations traditionnelles beaucoup plus directement que le sociologue le fait avec celles des grandes sociétés bien compliquées.
En fait, la dimension somatologique devrait être première puisqu’elle est fondamentale et relativement univoque. Aussi pouvons-nous décliner les étapes de cette deuxième partie du protocole :
- analyse somatologique,
- analyse freudienne,
- analyse jungienne,
- autre référence théorique,
- référence à une éventuelle théorisation propre à l’analyste.