Actualité
de l’optimisation existentielle
énergétique, éthique et mystique
à l’exaltation essentielle
volupté, liberté, vérité
Les gafa (de la silicon valley) auraient pu illustrer cette magnifique trajectoire humaine décrite en titre. Ils ont démarré comme des hippies dans l’exaltation de la révolution anti-guerre du Vietnam, anti-armement, anti-contraintes sociales et anti-politiques. Ils ont démarré leur business comme un fabuleux don à l’humanité. Très vite, ils ont déraillé dans le capitalisme le plus criminel, l’exploitation la plus honteuse et l’hypocrisie la plus crasse. Grâce aux big data, ils savent déjà que vous lisez ce pamphlet en ce moment.
L’essence et l’existence de l’être sont donc fragiles et facilement dévoyées.
L’antidot ?
Lisez ce nouveau blog et les autres d’avant (déjà 13) et les suivants (encore près d’une centaine !). En effet, avec 6 900 followers pour le moment et 34 000 visites, il vaut mieux continuer ainsi et vous offrir les sept cents pages restantes (plus les nouvelles à venir).
Autre actualité. Peter Singer, qui m’a aidé à devenir un (petit) végétarien, plaide pour « l’altruisme efficace ». On pourrait aussi singer les Gafa et penser « optimisation altruiste ». (Peter Singer, « l’altruisme efficace », Paris, Les arènes, sept 2018). Nous nous retrouvons devant le fameux problème philosophique : comment faire le plus de bien avec 10 euros. Les donnerai-je à Stephan Bern pour redorer ses châteaux ou aux Rohingas ?
La puissance de la dynamique de socialité
A partir de cette nouvelle étape, la notion de passage devient plus complexe, son contenu est pluriel ou même flou. L’époque de survenue des trois dernières étapes peut varier d’une personne à l’autre et même ne pas advenir du tout. Cette variabilité augmentera encore avec les deux derniers stades et explique la quasi absence des étapes du développement adulte dans les théories classiques. C’est ici que la topique des positions trouve tout son intérêt, ainsi que notre critère de différentiation fondé sur les cadres de vie et le type de relation.
La première des trois catastrophes adultes se constitue par le développement du sujet d’une part et par le changement du cadre d’autre part. Le jeune adulte évolue et l’on aime à remarquer cela dans son corps d’abord, dans sa sexualité surtout. Freud l’a exprimé par un mythe puissant, à savoir par le meurtre du père par les fils et l’accaparement des femmes par ces derniers. Il y a peu de temps encore l’entrée dans la vie adulte se manifestait effectivement par le départ du jeune et l’installation en couple. Aujourd’hui, dans nos pays occidentaux, cette cohabitation juvénile ne nécessite plus le renoncement au domicile parental. Par ailleurs, les forces physiques du fils commencent à dépasser celles du père, la beauté de la fille éclipse celle de la mère et le savoir des enfants fait de l’ombre aux anciens. La famille ne peut plus assurer une sécurité suffisante ; l’adolescent ne se sent plus suffisamment protégé, surtout quand une rivalité réelle avec l’un des parents s’installe. Le jeune adulte se sent capable d’assurer lui-même sa sécurité, de façon active. Ce nouveau vécu est celui de la puissance.
Le cadre de vie intervient lui aussi dans l’avènement de cette nouvelle catastrophe. Les parents, la famille, le groupe social, exigent que le jeune adulte devienne un membre actif dans la communauté. Il devait assurer la défense du pays par le service militaire. Il doit assurer la subsistance commune par le travail productif (ou une accumulation de savoirs), payer les impôts et les retraites des anciens, voter et se faire élire éventuellement, participer à la gestion du groupe par toutes responsabilités sociales. Cette pression de la communauté ne se fait plus sentir aussi violemment qu’autrefois. Ce n’est plus à quatorze ans qu’il faut descendre à la mine. La détermination chronologique de la catastrophe est plus subtile ce qui peut d’ailleurs devenir une cause nouvelle de pathologie, par méconnaissance, réelle ou feinte, du besoin d’assumer activement son rôle social.
Mais, un jour, elle est bien là, cette catastrophe. Il faut insister sur cette notion d’épreuve, de contrainte, sur les « il faut » et « on doit », qui mettent le stress aux poudres. La perte du havre de paix — homeoesthésique, fusionnel et protecteur — se précise de plus en plus : il n’y a plus maman pour l’argent de poche, il n’y a plus papa pour aider à bricoler, il n’y a plus personne pour négocier avec le patron, il n’y a plus de copain pour vous refiler une copine. Il faut — oui, c’est encore il faut — accéder au saut de relaxation de la came, à ce sursaut qui fait subitement passer de l’épreuve à sa réussite et de la préoccupation à la satisfaction. Tout d’un coup, on se retrouve dans un nouvel état d’harmonie et d’aise, même si le niveau d’énergie est plus élevé que dans les états antérieurs.
On réussit le permis de conduire, on tombe sur la copine adorée. On perçoit son premier salaire qui permet d’envisager les premières vacances à deux. On emménage dans l’appartement personnel, on fait le premier enfant, on écrit son premier livre…
Ici, le vécu dépend des événements les plus réels ; il nécessite des réalisations objectives. Nous quittons la sphère de la psychanalyse pour nous inspirer du comportementalisme. Nous cédons sur l’introspection pour investir la dynamique de groupe. La puissance doit se fonder sur l’exercice réel de la puissance, sur les réalisations, avant de devenir cette assurance que les sages d’Orient et d’Occident nous enseignent comme une attitude, un regard, un silence, qui valent infiniment plus que l’acte lui-même.
La puissance prend la suite de la protection en tant que garant de sécurité. Mais elle devient active. Il faut l’assurer soi-même, la gérer selon ses besoins, la pousser en fonction de ses capacités. Nous touchons ici du doigt et ressentons directement dans le corps ce qui se passe : la détente et l’apaisement du protégé se transforme en force et assurance chez le puissant. Du lâcher-prise, on passe au prendre-prise. Mais le fond de stabilité structurelle reste le même, l’homéoesthésie se réinstalle même si le niveau d’énergie monte de quelques degrés.
L’acquisition de la puissance en socio-somatanalyse
Le groupe de somatanalyse offre ici son terrain d’observation. Il nous montrait le vécu de « protection » chez le débutant. Il nous le mène, ce patient, jusqu’à la confrontation avec sa puissance. Après quelques ateliers, le somatanalysant devient un ancien et se voit promu au rang de membre actif et peut-être même de leader. On exige de lui qu’il promeuve cette sécurité dont le groupe a besoin, on attend de lui qu’il colmate un silence, mette le débutant sur ses rails d’apprenti, assure une certaine convivialité pour que chaque participant puisse vaquer à son analyse personnelle en toute protection. Le groupe lui confie ce rôle, l’élit démocratiquement comme ancien et/ou leader, accepte que ses thèmes deviennent les thèmes du groupe, puis, le moment d’après, lui demande de rentrer à nouveau dans le rang, de passer le crachoir et de se taire. L’organisation analytique, non-directive, permet cette observation très fine des dynamiques démocratiques et autocratiques du groupe et des individus. L’analyse de cette dimension très précise de l’exercice du pouvoir prend de plus en plus de place dans mon rôle d’analyste, renvoyant ainsi les participants à leurs devoirs civiques et citoyens. En effet il est au moins aussi utile de guérir une politico-phobie ou -manie qu’une peur des souris ou autre érotomanie.
Cette illustration pratique nous permet une nouvelle incursion dans les généralités. Nous disions que les programmes de gestion ou « packages attentionnels », s’accumulaient d’étape en étape et se cumulaient. Ces deux derniers verbes renvoient aux deux concepts piagétiens d’accommodation, et d’assimilation. C’est le cumul qu’il faut bien percevoir dans cette dynamique de socialité : à présent, l’attentionnel comprend quatre processus de gestion différents, ceux qui interviennent dans l’homéoesthésie, la fusion, la protection et la puissance. S’il en manque un, l’ensemble devient problématique sinon pathologique :
- s’il manque le lâcher-prise qui permet d’accéder à la protection, l’adulte reste constamment dans la tension du pouvoir ;
- s’il manque la capacité de fusionner, le même individu ne trouvera pas l’assurance et l’harmonie de sa puissance ;
- s’il manque la base homéoesthésique, notre compétiteur sera un hyperactif toujours en mouvement, et dans des mouvements non mesurés, démesurés.
L’assimilation piagétienne devient donc quelque chose de très précis, à savoir l’intégration du dernier programme attentionnel aux programmes précédents. Il apparaît ainsi qu’à chaque étape l’ensemble devient plus complexe et donc aussi plus singulier. La différenciation précise des étapes adultes s’en complique aussi, d’où la négligence habituelle des stades de la vie adulte par les professionnels.
L’intimité de la matrice affective
Toutes ces remarques deviennent encore plus pertinentes avec la cinquième étape, celle de l’intimité affective. En effet, comment isoler un temps spécifique de l’amour alors qu’il semble s’étaler sur toute la vie, à commencer par la petite enfance. Certes il y a l’argument de ce moment précis où l’adulte fait l’expérience d’un éveil amoureux même s’il n’est pas passionnel. A l’époque on l’appelait craintivement « démon de midi », je propose de le positiver totalement en « œdipe de midi ». Et s’il n’advient pas explicitement, il se manifeste comme manque et maladie.
Notre modèle rend justice à ce stade et nous donne les clés pour le définir avec précision. L’amour adulte, celui de la matrice affective, s’inscrit évidemment dans l’expérience fusionnelle, ce qui en fait sa force, mais intègre tout autant les deux programmes attentionnels intermédiaires, les gestions de la protection et de la puissance. En d’autres mots, l’œdipe de midi se construit sur l’œdipe fusionnel du matin mais assimile aussi les exigences de sécurité, passive et active, ce qui lui confère un contenu tout nouveau.
Il s’agit d’affection amoureuse et même de passion qui, elle, n’a cure des besoins sociaux de sécurité puisque cette dernière existe par ailleurs. Il s’agit d’une implication sans filet mais ce n’est pas une dépendance. La différence entre l’attachement et la dépendance tient aux mêmes critères que celle de l’amour et de la passion : dans les premiers (attachement et amour) la présence de la sécurité active et passive évite tout effondrement personnel lors de l’éventuelle disparition du partenaire. Dans les seconds (dépendance et passion), l’absence de sécurité personnelle débouche sur l’annihilation de l’individu abandonné. A présent, il s’agit d’un vécu de grande assurance, d’une conviction solide d’être. Frans Veldman, le créateur de l’haptonomie, parle de « sécurité de base ».
Mais revenons à notre concept de passage et rappelons-nous que l’entrée dans la matrice affective est aussi une… catastrophe. L’adolescent attardé a enfin trouvé la protection grâce à ses innombrables diplômes. L’adulte jeune a longuement construit sa sécurité active, a trouvé du boulot, gagné de l’argent, créé un réseau de relations. Il a aussi… emménagé avec une partenaire, constitué un couple, s’est éventuellement marié, a fait des enfants… Tout cela est encore sécuritaire et social, très paradoxalement. La passion n’aura duré que cent jours, comme l’état de grâce des nouveaux gouvernements et l’investissement conjugal sera principalement sexuel sinon matériel et mondain. Tout cela ne constitue pas encore la matrice affective, d’où les innombrables ruptures des cohabitations juvéniles et les 50 % de divorces des couples mariés malgré tous les essais de cohabitation juvénile. Cette cohabitation n’est trop souvent qu’un besoin de sécurité, qu’une imitation des usages sociaux qui débouchent sur la véritable… catastrophe que constitue la présence intime de l’autre.
L’autre est une catastrophe, l’autre conjugal autant que l’autre social, ainsi que le soulignait Sartre : l’enfer c’est les autres. Pour l’autre social, nous avons vu que l’inconvénient disparaît après le saut de relaxation dans la protection d’abord, dans la puissance ensuite. Pour l’autre conjugal, la nuisance de sa présence ne disparaît qu’après le saut dans l’amour.
L’amour serait-il une catastrophe ?
Il faut insister sur la notion de catastrophe qui montre toute sa pertinence ici, dans le cadre où on l’attendait le moins, dans le cadre de l’amour. Le partenaire conjugal est une catastrophe, répétons-le. Il empêche la régression dans la simple homéoesthésie tant il est toujours à vouloir quelque chose et ne laisse jamais en paix. Il empêche le retour à la fusion tant il refuse de jouer à la mère ou au père inconditionnel. Il perturbe le vécu de protection tant lui aussi en exige. Il démolit tout autant le sentiment de puissance, n’acceptant pas qu’il y ait une domination quelconque dans la relation affective.
Cette catastrophe, qui n’existe pas seulement dans les comédies de boulevard, provoque la rupture du couple s’il n’y a pas de saut de relaxation dans l’amour vrai. Il s’agit là d’un nouveau lieu de vie, d’une nouvelle position de stabilité structurelle qui rend enfin le couple viable et vivable. J’ai décrit ailleurs ce qu’est l’affectif :
- un état d’être fondé sur l’être précisément et non pas sur le faire ou l’avoir,
- un être avec l’être aimé, qu’il soit là physiquement ou seulement mentalement,
- un être dans la présence, hors passé et hors avenir,
- un état d’être fragile de par cette seule présence ne donnant donc pas de sécurité, au sens où nous l’entendons,
- un état d’être sans droit ni devoir de l’un par rapport à l’autre ;
- les droits et les devoirs ne viennent que du maire, du curé, du gynéco et du banquier !
Ces caractéristiques qui pourraient sembler irréelles dans une présentation aussi absolue nous font penser à la notion d’inconscient freudien avec ses aspects d’intemporalité, de non contradiction, d’univocité. L’affectif constitue effectivement un large pan de l’inconscient freudien, tout simplement parce qu’il est tellement global, complexe et subtil, qu’il ne peut pas être réduit au tout petit nombre d’items que la conscience rationnelle peut afficher.
A cela il faudrait ajouter les qualités très précises de l’affectif, de l’amour, mais nous laisserons aux poètes et autres cinéastes le soin de le faire, nous laisserons à chaque lecteur le plaisir d’en retrouver la saveur en soi-même. Mais peut-être cette évocation très agréable est-elle dérangée par une contradiction qui s’est glissée dans les dix dernières lignes. En effet, il y a contradiction entre l’affectif vu comme « fragile » et la matrice affective prétendue « structurellement stable ». C’est dans cette apparente opposition que peut se faire notre démonstration.
Si le vécu amoureux est effectivement fragile et vulnérable en soi, présent un jour et évaporé le lendemain, nécessitant son ancrage à la mairie, à l’église, dans la famille et les crédits bancaires, la matrice affective est tout autre dans sa définition de position de vie que nous lui donnons, en cinquième rang, relativement tard dans le développement de l’être humain. Elle a besoin de tout ce temps pour que se constituent auparavant les sentiments de protection et de puissance chez chacun des partenaires. La mairie et l’église, la famille et les comptes bancaires, sont des éléments utiles, de protection et de puissance. C’est seulement après leur acquisition que l’amour devient de l’affectif, dans une matrice du même nom. L’affectif n’y est plus précaire et risqué. L’être aimant s’y trouve assuré et confiant. Cette assurance et cette confiance lui viennent de sa propre acquisition, sociale, de ces sentiments, ainsi que de la présence de ces mêmes sentiments chez le partenaire. Ici se montre clairement la nécessité de l’accumulation des programmes de gestion attentionnels précédants.
Clinique
La pratique de la psycho-somatanalyse illustre merveilleusement ces faits. En poussant le fauteuil contre le divan pour ajouter à la communication verbale une communication visuelle et en posant la main sur le corps de l’analysant pour élargir les deux premiers à la communication tactile, le somatanalyste crée les conditions du vécu affectif. Mais il n’y aura matrice affective que si la maturation des étapes antérieures a eu lieu.
- S’il n’y a pas de sentiment de puissance, le patient craint la dépendance et se refuse à l’ouverture affective.
- S’il n’y a pas de sentiment de protection, il cherche des garanties en imposant ses propres règles de sécurité, en voulant changer le cadre de l’analyse par exemple.
- S’il n’y a pas d’expérience antérieure de fusion, la main sur le corps n’éveille pas de tendresse et n’évoque que l’emprise.
- S’il n’y a pas de programme de gestion homéoesthésique, cette intimité suscite des sensations labiles et intenses, sexuelles par exemple.
La psycho-somatanalyse est un long travail sur toutes ces étapes du développement jusqu’à ce que se réalise cette matrice affective qui donne à vivre l’amour dans l’assurance et la confiance au travail analytique. Tout comme le transfert est le creuset de la thérapie, la matrice affective est la condition de l’analyse. Parfois elle s’installe sans problème laissant la place aux dimensions sociale ou créatrice, d’autres fois elle prend toute la place, constituant le problème essentiel. Dans ce dernier cas, il s’agit de transfert au sens étymologique du terme, à savoir de projection d’un affect venu d’ailleurs. Par contre, la matrice affective n’est pas du transfert, elle n’est pas une construction projective ; elle n’advient donc qu’après la liquidation du déplacement transférentiel.
Les valeurs de l’univers créatif
Mais voici qu’une nouvelle catastrophe vient perturber la délicieuse stabilité affective et, ce coup-ci, on ne contestera pas la notion de catastrophe puisqu’il s’agit de la mort, en tout cas de l’idée de la mort. La sécurité assise sur le groupe social et l’amour fondé sur le partenaire affectif ne résisteront pas à l’interrogation suscitée par la mort. Face à elle, chacun se retrouve seul, chacun doit trouver sa réponse à lui, chacun doit créer son attitude personnelle. La dynamique sociale et l’intensité amoureuse ont pu faire oublier l’échéance. Puis, un jour, elle s’impose à nouveau. C’est à l’âge mûr, sans qu’il soit nécessaire de donner un âge plus précis. C’est lors de l’individuation, comme l’appelle C.G. Jung. C’est à l’âge où Bouddha quitte son royaume pour la quête spirituelle.
La mort fonctionne ici comme motif extrême de cette nouvelle mutation, créative, mais nous savons que cette dernière survient toute seule, progressivement, chez un chacun, même si ce n’est pas de façon dramatique. L’homme bricole un peu plus longtemps dans son atelier, la femme se plonge plus fréquemment dans ses livres à soi, chacun regarde séparément son émission télévisée favorite. On peut même partir seul en vacances si ce n’est à un atelier de somatanalyse, de développement personnel ou de méditation. Une certaine autonomie est revendiquée, une part d’argent à gérer à discrétion.
Les programmes de gestion de la dynamique sociale et de la matrice affective sont acquis, eux qui ont fait diversion des besoins… personnels, singuliers, subtils et uniques. A présent, ces derniers resurgissent et viennent déranger le bel ordonnancement précédent, suscitant la nouvelle catastrophe. Fondamentalement, il y a retour du besoin… d’homéoesthésie, de l’équilibre personnel, qui se sont installés tout au début de la vie et que les partenaires affectifs et le groupe social avaient supplantés. C’est bien d’homéoesthésie qu’il s’agit, quelque provocateur que soit ce terme de par sa primitivité comme la bulle qui l’a vu naître, alors qu’on parle de créativité et de valeurs. N’empêche qu’elles servent à retrouver l’homéoesthésie comme le fait la ‘‘pulsion de mort’’ que Freud arrime à cet âge et qu’il définit comme retour à l’énergie basse. Cette idée entame la superbe humaine comme l’a fait celle de l’inconscient freudien (« Nul n’est maître en son logis »), après les pavés de Copernic (la terre tourne autour du soleil) et de Darwin (l’évolutionnisme). Pourtant, il s’agit bien de créativité et de valeurs comme nous pouvons le décrire dans les quatre fonctions intrapersonnelles en cause ici : sensation, réflexion, intuition-imagination, action.
Au niveau sensitif, l’adulte impose progressivement ses besoins très précis : le rythme de la journée avec lever et coucher de plus en plus individualisés même si c’est à contre-temps des autres ; goûts alimentaires nouveaux, bio- macro-, vegan ou diététiques ; choix du lieu de vacances selon le climat, mer ou montagne, chaleur relaxante ou fraîcheur tonifiante, foule de haute saison ou solitude de basse saison… La recherche de stabilité structurelle est ici manifeste.
Au niveau intellectuel, l’adulte du sixième (stade) se met enfin à chercher ses propres avis sur les problèmes alentour. Après s’être fait la main sur ses propres enfants, avec Spock, Pernoud et Dolto, il formule des idées pédagogiques à lui (qu’il n’appliquera quand même pas à ses petits-enfants parce qu’il voudra surtout la paix avec eux !) En politique, il ose choisir son camp après les imitations et oppositions systématiques de sa jeunesse. Pour les grands problèmes sociaux, drogue, sida, justice, solidarité avec les défavorisés, mariage pour tous par exemple, il aboutit à des convictions propres, quitte à affronter ses partenaires les plus proches. Ces nouvelles valeurs sont aussi des réponses, des réponses faites à soi-même, des réponses à l’instabilité du non-savoir.
Au niveau de l’action, la créativité la plus classique est artistique. Combien de quinquagénaires ne retrouvent-ils pas leur instrument de musique, leur pinceau ou ne s’essayent-ils pas à la terre glaise ou au marbre si ce n’est à l’écriture. Il s’agit de recréer les objets et les choses à son image, à sa façon, à son niveau de valeur et d’énergie.
Mais c’est au niveau spirituel que la créativité s’exerce le plus massivement. Les questions y sont encore plus dérangeantes, celles de la vie et de la mort, du chaos et de l’ordre prétendument divin, du hasard ou de l’intention d’un créateur. Les réponses deviennent enfin personnelles. Le nombre de personnes qui changent de religion augmente ; celui des adeptes d’une spiritualité sans église, encore plus. Les sectes et le new-age recrutent massivement en proposant des expériences d’expansion de conscience, d’état de grâce et de sérénité garanties. Nous vérifions ici notre propos du retour à I’homéoesthésie. Les vécus de paix intérieure, d’ouverture du septième chakra, d’orgasme cosmique, sont des expériences proches de ce que Freud appelle « sentiment océanique » et qu’il assimile malencontreusement à la pulsion de mort.
Il n’y a là aucune dévalorisation, juste du réalisme. Car le résultat de cette créativité solitaire débouche sur les réalités humaines les plus nobles : les valeurs, la science, l’esthétique, le spirituel. En même temps, nous nous rappelons que ces créations sont des catastrophes autant pour la société que pour le couple. Quand Galilée (après Copernic) assène à son siècle que c’est la terre qui tourne autour du soleil, c’est aussi dérangeant que lorsque l’adulte constate qu’il doit s’allonger sur le divan de la psycho-somatanalyse pour raconter l’intimité que le partenaire conjugal ne peut plus entendre. C’est la catastrophe.
Quant au saut de relaxation, il se fait dans… le bonheur. Ce concept rend le mieux compte de ce dernier lieu de stabilité structurelle à condition d’accepter la définition du bonheur que je propose.
Le bonheur, c’est quand, comme dit l’enfant, ce qui advient ça tombe bien.
Même la mort peut alors tomber « bien », pour une multitude de raisons parmi lesquelles chacun choisira les siennes, en accord avec soi, avec l’humanité et l’univers, avec Dieu peut-être. Mais, ne l’oublions pas, le bonheur s’étaye sur l’homéoesthésie, la fusion, la protection, la puissance et l’amour, cumultativement.
Quand la mort s’annonce comme extase suprême.
Un jour, enfin, oui en fin, la mort réelle arrive. Serait-ce la catastrophe suprême ou la libération des catastrophes ? Serait-ce l’anéantissement de l’individu ou le saut dans la relaxation définitive ? Nous n’avons pas à nous prononcer sur un éventuel au-delà qui reste du domaine de la conviction qui incombe à chacun. Par contre nous avons à nous référer à la science qui nous donne actuellement des indications très claires sur le moment de la mort, informations qui recoupent les grands enseignements traditionnels et qui se vérifient dans les pratiques d’expansion de conscience. Ces trois ensembles de faits sont suffisamment répétitifs, observables et transmissibles, pour constituer des preuves scientifiques et servir de base à une attitude à la fois rationnelle et spirituelle vis-à-vis de la mort.
Le premier bouquet de faits nous est offert par la médecine elle- même avec le soin méthodologique et la rigueur théorique qui la caractérisent. Il concerne les phénomènes de mort imminente, les états proches de la mort mieux connus sous leur appellation anglaise de NDE : Near Death Experience. Les statistiques les plus sérieuses nous disent que 10 à 15 % de la population ont connu ce type d’expérience soit lors d’une noyade interrompue, d’un accident grave, d’un choc extrême, d’une anesthésie, d’un coma ou même seulement d’un choc esthétique ou amoureux.
Quant au vécu subjectif, il est principalement visuel et imaginaire, d’une extrême richesse et créativité, mais s’inscrit étonnamment sur une trame relativement stable. Certains auteurs décrivent des étapes successives au nombre de cinq, mais nous retiendrons ici deux temps fondamentaux presque toujours présents, un temps d’obscurité suivi d’un temps de luminosité. Autant le premier peut être cauchemardesque, autant le second s’ouvre sur une exubérance sans limite. La sobriété avec laquelle nous relatons ces faits se veut toute médicale mais nous invite néanmoins à proposer l’association entre nos deux processus développementaux et les vécus de NDE, entre la catastrophe et l’obscurité angoissante et entre l’état de stabilité structurelle et la lumière éblouissante.
Le second bouquet de faits nous est offert par la tradition spirituelle et nous arrive à travers des études anthropologiques elles aussi suffisamment scientifiques pour se proposer comme des réalités bien établies. Du livre des morts tibétain au livre des morts égyptien, nous avons d’innombrables traditions de toutes les civilisations mais l’illustration la plus probante nous vient de notre propre enseignement occidental et chrétien. De façon très sommaire, on peut évoquer la dichotomie entre l’enfer et le paradis, ce dernier étant précédé par le purgatoire. Comment ne pas retrouver ici les observations médicales de l’obscurité (purgatoire) qui peut devenir cauchemardesque (enfer) ou déboucher sur la lumière (paradis). La Divine Comédie de Dante nous promène magistralement à travers ces différents états et peut nous convaincre de ces associations.
Mais il reste un dernier cadeau, un dernier bouquet, qui vient parachever la démonstration et la rendre familière. Il s’agit des pratiques des états de conscience modifiés. J’ai décrit ailleurs très minutieusement des vécus d’hyperventilation (pneumanalyse) et d’isolation sensorielle (tanking). On peut ajouter les expériences de transe giratoire (TTT), ou tout simplement celles de vécus émotionnels intenses en socio-somatanalyse (Meyer, 1986) ou… dans l’orgasme. Ces pratiques, qui nous viennent des rituels religieux pour certaines, sont maintenant des pratiques somatothérapiques qui offrent la rigueur des méthodologies contrôlées et le sérieux des théorisations scientifiques telles qu’elles ont cours en médecine. Or ces pratiques nous font accéder régulièrement à des vécus analogues aux états de mort imminente et à des expériences proches des enseignements traditionnels. Elles nous promènent à travers le long tunnel noir qui débouche sur la blancheur libératoire. Ces pratiques nous rendent ces expériences familières ; elles nous permettent de les apprivoiser pour les rendre positives. En effet, le tunnel est d’autant plus long, l’obscurité est d’autant plus noire et l’angoisse d’autant plus forte que le patient contrôle, résiste, s’oppose à l’événement nouveau (modifications de l’homéoesthésie par l’effet de l’hyperventilation). L’accès à la lumière est d’autant plus rapide, apaisant ou carrément orgasmique, que le lâcher-prise se fait profondément, progressivement ou brusquement. Il s’effectue un véritable apprentissage de ces attitudes qui ressemble beaucoup aux enseignements traditionnels. Nous en déduisons que la mort est l’extase suprême.
L’insistance sur la scientificité de ces faits est intentionnelle et doit nous permettre d’approcher la mort avec les attitudes bénéfiques de la tradition et avec la raison de l’Occident moderne. Il n’y a plus de rupture entre les deux façons d’envisager la vie et le monde. Il n’y a pas lieu non plus de vivre la mort plus mal aujourd’hui que hier. En effet, les pratiques de la Présence Juste nous montrent le chemin de la belle mort et la théorisation somatologique nous en fait comprendre les mécanismes. On peut en déduire ici ce qui fait des passages « justes » d’une étape de vie à l’autre. L’ajustement sans trop de heurt se fait à deux conditions : le sujet concerné doit être « présent », ouvert aux changements qui surviennent ; l’environnement doit être « suffisamment cohérent » avec les capacités du sujet.